THE OSCHOLARS

___________

 

Vol.  IV  

No.  2

 

issue no 33: February 2007

 

IMAGE002image009IMAGE004image009IMAGE005

 

And I? May I Say Nothing?

 

leftleaf.gifrtleaf.gif

 

Click    for the main pages of this is sue of THE OSCHOLARS

To hub page IMAGE002 | To THE OSCHOLARS home page IMAGE005

 

 

 

Des Profondeurs


Je suis dans les ténèbres, moi qui vivais dans la lumière.

Moi qui étais la lumière.

Je resplendissais comme un astre. Je rayonnais. J’irradiais. Je ruisselais de grâce et de beauté. Nul n’était plus étincelant que moi.

J’étais le soleil. Ma radieuse jeunesse avait l’éclat d’un somptueux matin d’été, plein des brillantes promesses du jour. Toute ma personne éblouissait. Je n’avais qu’à paraître, moi, le jeune roi, moi, le garçon doré qui, au premier regard échangé, avais connu l’ampleur de ma victoire. Je régnais. Je régnais sur son cœur en maître absolu. Et j’avais pour lui le visage adorable d’un dieu.

Le noir ne me va pas. Je ne suis pas fait pour les ténèbres. Je n’ai aimé l’obscurité que peuplée d’interdits, une obscurité complice où courrait le frisson de l’amour et la sombre excitation du désir.  Pas cette nuit sans rêves, cette nuit silencieuse et désertée.

Où suis-je ? Au fond d’une tombe ?

Depuis combien de temps suis-je ici ? Qui viendra m’arracher à  ce cul-de-basse-fosse ? Est-ce toi, que j’aimais ? Toi dont je fus, dit-on, le destin funeste? On n’a gardé de moi que cette image noire, celle du fatal archange qui trancha ta vie en deux d’un coup de son glaive étincelant. Nul ne vient plus me rendre visite, tandis qu’on te célèbre encore partout, comme un héros tragique et sacrifié. Suis-je si coupable ? Est-ce moi seul qui ai causé ta chute et ta ruine ? Je t’aimais pourtant. J’étais si jeune. Et mon père n’était qu’une brute épaisse. C’était sa perte à lui que je cherchais, non la tienne. Dans ce duel à mort que nous nous livrions, lui et moi, je voulais que tu te tiennes à mes côtés et que tu portes haut mes couleurs. Je n’aurais pu combattre sans toi, je n’aurais pas eu le courage d’affronter cette force dévastatrice qui ruinait tout sur son passage. Il a offensé ma mère, il l’a grossièrement bafouée en voulant lui imposer ses maîtresses. J’étais le bras armé de la justice, et tu étais mon champion, celui qui devait ceindre mon beau front des lauriers du triomphe. Je ne pouvais tolérer plus longtemps sa morgue et son arrogance, sa folie et sa vulgarité. Le marquis écarlate. C’est toi qui l’avais surnommé ainsi. Rouge comme le sang de mon frère, mort dans un fossé, d’un coup de fusil suicidaire. A cause de lui. Rouge comme l’enfer où il aurait voulu nous plonger. Y aurait-il quelque indignité à vouloir venger l’honneur de sa famille ? On a été injuste envers moi. Je le clame aujourd’hui : j’ai été la victime d’une effroyable injustice. J’étais un grand poète, et la postérité m’a méprisé. J’étais un fils aimant et mon père m’a dédaigné. J’étais un amant loyal, et on n’a retenu de moi que l’abandon et la traîtrise. Je ne t’ai pas abandonné. Pourquoi faudrait-il que j’accepte cette affreuse iniquité ? Moi, devant qui pâlissait la beauté d’Apollon, moi que tu baptisas Hyacinthe et dont tu embrassais la bouche avec ferveur ?

Qui êtes-vous tous, pour me juger ? Qui vous a donné cette audace ? Je n’accepte pas votre condamnation, plèbe infâme. Je suis au-dessus de vous, au-dessus de la masse informe de la foule qui crie au lynchage, et qui se rue sur l’innocent avec des pierres à la main. Vous n’êtes rien. Votre verdict est sans valeur. J’entends les mots sortis de vos bouches vulgaires : Egoïste. Menteur. Pervers. Jouisseur. Méprisant. J’entends les jugements tomber de vos lèvres sans grâce : Hystérique, colérique, violent, lâche, sans cœur ! Ils ne me touchent pas. Ils ne parviendront pas à m’atteindre. Je suis trop haut pour vous. Je suis au-delà de vos paroles calomnieuses. Je ne m’abaisserais pas à écouter vos mensonges.

Non, je ne suis pas lâche.  Je n’ai pas déserté devant l’adversité. Si je suis parti, c’est toi qui m’y as poussé. Tu avais peur pour moi, peur de m’entraîner dans ta chute. Et tu m’as demandé de partir, de quitter l’Angleterre, de renoncer à t’accompagner dans l’épreuve. Faut-il que l’on me reproche aussi cela, à moi qui t’ai rendu chaque jour visite à Holloway ? Oh, l’horreur sans nom de ce parloir, de cette ignoble promiscuité ! Tu baisais mes doigts à travers la grille, toi qui n’étais plus qu’un homme abattu.  Te souviens-tu de ce jour où je t’avais écrit cette lettre après que nous nous soyons disputés, et qui se terminait pas ces mots : « Quand tu n’es pas sur ton piédestal, tu n’es pas intéressant ». Eh bien, tu étais tombé de ton piédestal avec fracas, et j’étais encore auprès de toi, malgré tout, à serrer ta main à travers la grille. J’aurais accepté de traîner mon nom dans le caniveau pour toi. Un des plus grands noms d’Ecosse et d’Angleterre. Un des plus anciens et des plus respectés.  N’était-ce rien que cela ? J’étais prêt à ce sacrifice, et c’est toi qui ne l’as pas voulu, toi qui as exigé que j’y renonce.

Alors, c’est vrai, il y a eu ces deux années de silence, ces deux années terribles où tu croupissais dans ta geôle pour m’avoir trop aimé. Je ne t’ai pas écrit. Mais qu’aurais-je pu te dire ? Comment consoler ta douleur inconsolable ? Avec quels mots ? Tous me semblaient impuissants, dérisoires. Ils n’auraient fait que retourner le couteau dans notre plaie trop fraîche et trop profonde, la fouailler jusqu’au sang. Il valait mieux le retrait, le silence. L’effacement. Que n’aurait-on dit si j’étais allé te visiter en prison, si j’avais eu cette audace ? Tous les moralistes auraient aussitôt crié au scandale, tous les censeurs auraient fondu sur nous comme un vol de vautours et de corbeaux. Ils nous auraient déchiquetés, ils se seraient disputé nos cadavres. Tu ne l’as pas compris ainsi, je le sais. Tu me l’as durement signifié dans ton livre. Cette longue et terrible lettre, si implacable, est-ce que je la méritais ? Oscar, ce n’est pas moi qui t’ai dévoyé. Ce n’est pas moi qui, le premier, t’ai détourné des chemins respectables du mariage et de la paternité.  Un autre t’avait déjà initié en te faisant découvrir les secrets de cet amour qui se cache, de cet amour en marge qui n’ose pas dire son nom.

Un autre.  Celui qui dort près de toi sous les arbres d’une allée parisienne. Alors qu’ici, je me dessèche en périssant d’ennui, sans personne à qui parler, sans ta voix pour me bercer, ta voix inimitable, douce et grave comme un solo de violoncelle. Imagines-tu combien la jalousie me dévore, combien je voudrais pouvoir arracher le cœur de celui qui partage encore ta couche ? Il est ton compagnon d’éternité, et je suis seul au fond de cette tombe. Je suis seul dans ma nuit, torturé par la pensée de cette union post-mortem, révolté par son imposture. Il s’est glissé dans ton intimité par ruse, il m’a volé la place qui me revenait de droit.  J’aurais voulu finir ainsi, endormi près de toi qui fut mon amant, le seul qui comptât jamais pour moi. Mais Robbie s’est immiscé entre nous en tapinois, comme il a souvent tenté de le faire au cours de sa petite vie médiocre. Tu lui as toujours accordé le beau rôle à ce bon samaritain trop dévoué. Mais moi, je voyais clair dans son jeu. Je n’ai jamais été dupe. Aussi n’ai-je jamais cessé de le haïr. Parce qu’il était l’envers de moi-même, parce qu’il avait été le premier, et qu’après moi, il était celui qui tu chérissais le plus. Mon rival. Celui qui recueillit ton dernier souffle, qui se débrouilla pour te fermer les yeux. Je voudrais écraser son visage, ce petit visage de Puck, trop innocent, le lui écraser sous une pierre. Je voudrais l’étrangler de mes propres mains. On dit que j’ai probablement hâté sa mort, que mes persécutions incessantes l’avaient usé quand son cœur a lâché. Peut-être bien. Je ne sais plus. Il y a longtemps de cela. Si c’est vrai, je ne regrette rien, sinon qu’il ait trouvé le moyen de me vaincre en définitive, de remporter la dernière manche avec ses manœuvres de tricheur. Je n’ai jamais fait semblant d’avoir bon cœur. Je ne me suis jamais montré meilleur que je n’étais. J’avais trop d’orgueil, trop d’assurance pour déguiser ma nature. J’étais fils de marquis, après tout. Ma dignité m’interdisait de m’infliger des contorsions grotesques pour plaire à de petites gens sans importance. Il fallait me prendre tel que j’étais. Et c’est ainsi que tu me pris, toi qui étais mon égal, non par le rang, mais par l’esprit. Tu avais l’âme haute, assez haute pour accepter mes défauts et les aimer, assez haute pour pardonner les injures. Quand on t’a précipité dans la boue, tu n’as pas exprimé de haine contre tes ennemis, ni contre tes juges. Moi seul ai subi tes reproches. Contre moi seul, tu as proféré des paroles amères. Comprends-tu combien c’était douloureux pour moi de les entendre ? Combien il était humiliant de voir notre histoire ainsi exposée, et défigurée par la partialité d’un bilan trop sévère ? Peux-tu t’étonner qu’après cette iniquité, j’en sois venu à te renier, à nier l’existence même de notre liaison amoureuse ? Comme Pierre le fit trois fois avant le chant du coq, je t’ai renié, pendant plusieurs années. J’ai écrit les pires horreurs à  ton propos. J’ai témoigné sous serment à la barre d’un tribunal en affirmant que tu avais été la plus grande force du mal que le siècle ait connu. Je t’ai renié obstinément, avec hargne, avec rage. J’ai tenté de détruire jusqu’à ton souvenir dans ma mémoire. Parce que je t’avais beaucoup aimé, que tu avais pris dans ma vie toute la place. Et que tu me rejetais, en affirmant que j’étais le seul artisan de ta chute, celui qui t’avait livré au malheur, moi, ton bel amour, l’unique objet de ta folle passion. Le monde entier a fini par te croire sur parole, par me traiter en renégat. Il m’est même arrivé de penser que tu avais raison. Je ne sais pas. Peut-être ta version des faits n’est-elle pas tout à fait erronée. J’étais un jeune inconscient, qui voulait tout prendre à la vie sans rien donner en échange. Mais la plupart des jeunes gens sont ainsi. Des égocentriques affamés, d’impitoyables despotes. Surtout lorsqu’ils ont été gâtés par la naissance.

En admettant que j’aie causé ta perte, n’oublie pas pour autant ce que tu me dois, car  j’ai  été l’un des bâtisseurs de ta légende, le grand architecte de ta vie. Oui, ta légende, Oscar, c’est moi qui ai commencé à l’édifier. Tu me dois une part d’immortalité. Sans moi, tu n’aurais pas porté cette aura du martyr, du crucifié. Je t’ai révélé à toi-même. J’ai enrichi ton génie de cette humanité poignante qui, dans tes dernières œuvres, t’éloigne à jamais  de cette légèreté de façade dont tu t’es si longtemps paré. Ce que tu as perdu en chagrin, tu l’as gagné en profondeur. Les héros ne meurent pas tranquillement dans leur lit à la fin d’une petite vie sans histoires. Je t’ai donné le statut et la dimension du héros. N’est-ce pas ce que tu avais toujours souhaité ? T’élever au niveau de la tragédie grecque ? Tu avais trop aimé son austère grandeur pour refuser le destin que je t’ai proposé. C’est sans doute pour cela que tu t’y es précipité avec tant de hâte, que tu as foncé vers le malheur les yeux fermés.

Où es-tu à présent ? As-tu échappé à l’enfermement de la nuit ? T’a-t-on laissé retourner vers le jour ? Je le voudrais. Je voudrais te voir marcher dans la clarté, ta grande et lourde silhouette avancer vers l’aurore, comme tu t’avançais autrefois au milieu de la scène sous les acclamations du public, les soirs de première.  Une houle de gloire montait vers toi. Tu te tenais debout, comme un  monarque recevant, désinvolte, l’hommage d’une cour éblouie. Peut-être te tiens-tu aujourd’hui encore dans la splendeur tandis je reste ici, prisonnier des sombres profondeurs. J’entends le vent au-dessus de ma tête, accompagner le chant des franciscains. J’entends son long gémissement sourdre et me plaindre. Je sais que tu ne me laisseras pas ici, seul dans le noir. Tu ne m’abandonneras pas à mon extrême solitude. Souviens-toi de qui je fus pour toi. Nos deux noms sont indissociables. Notre histoire restera gravée dans la pierre, inaltérable. Rien ne pourra la défaire et l’effacer. Bientôt, le vent t’apportera ma longue plainte. Elle sifflera à ton oreille et te fera doucement frissonner. Tu te retourneras, hésitant, pour mieux écouter cette triste musique hantée par ma voix blême. « Dear boy, dear boy », diras-tu dans un murmure ému. Et alors, tu n’auras plus qu’à me tendre la main pour  m’emmener.

 

 

 

Danielle Guérin

28 septembre 2003

image009 image009

Click    for the main pages of this is sue of THE OSCHOLARS

To hub page IMAGE002 | To THE OSCHOLARS home page IMAGE005

 

image009IMAGE004image009